Préférez-vous raconter une histoire au travers de photos ou de vidéos ?
« Certaines histoires se racontent mieux au travers d'images fixes, tandis que d'autres sont plus propices au format vidéo. Certaines se racontent même mieux uniquement avec le son. L'un des points essentiels de mon travail est le choix du moyen le plus adapté pour raconter une histoire. Par exemple, j'ai récemment filmé l'histoire d'une Vietnamienne qui a commencé à nourrir des singes déplacés vers une île isolée du fait de la destruction de leur habitat naturel par la déforestation. Avec les photos uniquement, mon public n'aurait pas pu entendre la façon dont elle parlait aux singes, telle une maman poule, ni les cris qu'ils poussaient lorsqu'ils l'entendaient arriver. »
Quel est le travail dont vous êtes le plus fière ?
« En 2020, j'ai vécu avec une communauté de femmes dans le delta de Pô au nord-est de l'Italie. La plupart des femmes de cette région travaillaient autrefois dans des usines de textiles. Mais la crise de l'industrie textile des années 1980 les a forcées à trouver un nouvel emploi. Au même moment, des palourdes se sont implantées dans les eaux peu profondes du delta, offrant une opportunité de travail à ces femmes, au sein d'une industrie halieutique autrefois majoritairement masculine. J'ai vécu avec ces femmes durant la pandémie de Covid-19 tout en étudiant à distance à l'ICP. J'étudiais jusqu'à une heure du matin, puis je me réveillais à quatre heures pour aller pêcher des palourdes. C'était une période difficile, mais je suis fière de m'être investie dans cette histoire. J'ai intitulé la série Like the Tide et elle a été publiée dans le National Geographic, parmi d'autres publications. J'ai beaucoup apprécié que mon travail soit reconnu, mais je suis encore plus fière de ma contribution envers la communauté. En mettant en lumière son histoire, j'ai donné l'opportunité au monde et à la communauté elle-même de rendre hommage aux pêcheuses. Quelques années après la diffusion du projet, la ville a reconnu deux pêcheuses que j'ai photographiées comme étant parmi les premières à exercer cette profession. »
Quel travail a eu le plus de répercussions sur vous ?
« Ma grand-mère avait une auxiliaire de vie ukrainienne, qui l'a accompagnée jusqu'à la fin de sa vie. J'ai commencé à la prendre en photo pour comprendre les aspects émotionnels de cette profession. Au même moment, les tensions prenaient de l'ampleur. J'ai donc décidé d'étendre le projet à l'ensemble de la communauté et l'histoire est devenue plus nuancée. Lorsque l'invasion a commencé, je disposais de l'équivalent de trois mois de contenu, lequel a fini par être publié dans The New York Times et m'a permis de recevoir la bourse de la Fondation Rita et Alex Hillman afin que je puisse me consacrer une année de plus à ce projet. L'histoire était très émouvante et m'a profondément touchée, à la fois en raison du décès de ma grand-mère au milieu de l'année subventionnée, mais aussi de par mon immersion dans le chagrin et la douleur des personnes qui vivaient le conflit à distance. »
Comment choisissez-vous vos histoires ?
« J'explore les façons dont l'économie affecte la vie des personnes et comment un seul produit peut avoir des conséquences sur le quotidien de plusieurs générations. Au Vietnam, j'ai relaté l'histoire des drones agricoles utilisés dans les rizières du delta du Mékong. L'introduction d'une approche aussi innovante dans la culture d'un produit figurant au cœur de sa culture illustre l'esprit du pays. Le drone offre également de nouvelles opportunités d'emploi pour les jeunes générations des milieux ruraux. J'aime aussi travailler autour des femmes fortes et indépendantes, car elles constituent mon modèle, comme les pêcheuses qui ont persévéré dans une profession que tout le monde considérait comme masculine ou les auxiliaires de vie ukrainiennes qui ont continué à s'occuper chaleureusement de nos aînés alors que leurs familles vivaient sous les bombes. Je souhaite être comme ces femmes. Les photographier ou réaliser des films à leur sujet constitue ma façon de leur montrer mon respect. »